I Mazzeri : sorciers d’un autre temps
Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, se déroule une bataille étrange, où s’affrontent les mystérieux Mazzeri, ces êtres dotés de pouvoirs surnaturels qui prédisent et administrent la mort. Pour mieux comprendre cette croyance millénaire, nous avons interviewé Ghjasippina Giannesini, anthropologue, qui nous plonge au cœur de cette tradition ancestrale entre le monde des vivants et des morts.
Bataille de mazzeri dans la nuit du 31 juillet au 1er août en Corse : mythe ou réalité ? (corsenetinfos.corsica) – le Lundi 31 Juillet 2023 à 10:15
– Le mazzeru, qui est-il vraiment ? Une personne atypique, un sorcier, un illuminé ?
– Le mazzeru est un homme qui a une vie sociale et personnelle comme tout un chacun. Cependant, il a un don peu ordinaire et à ce titre il est un peu craint par l’ensemble de sa communauté, car il a un don funeste, il peut prédire la mort d’un individu. La croyance dit que le mazzeru est un homme solitaire, un peu à l’écart. Dans les villages, il est souvent l’objet des conversations, car autour de cet être mystérieux plane le doute. Le mazzeru est à la fois une personne atypique, mais il est considéré aussi comme un sorcier, car il a ce don de prémonition qui est avéré par certains témoignages, mais il est vu aussi comme un illuminé, car il est entre deux mondes, cette limite ténue entre le monde des vivants et l’au-delà. De ce point de vue, ce qui ne s’explique pas de façon rationnelle peut faire peur, ou alors on donne une explication cartésienne , on peut penser qu’un mazzeru a des troubles psychologiques.
– Le mazzerisimu, est-elle une croyance aux racines anciennes ?
– Oui, elle prend place dans un contexte de mort. Le mazzeru a des rêves prémonitoires, pendant ces révélations nocturnes, il est un chasseur qui voyage entre deux mondes. La mazza, ce gros bâton qu’il porte va lui servir à tuer la bête qu’il pourchasse dans ses rêves. Une fois qu’il tue cette bête, il la retourne et inévitablement à l’animal mort se superpose le visage de quelqu’un qu’il connaît. La prédiction macabre est alors lancée, car la personne, apparue pendant la mise à mort de l’animal, mourra dans l’année qui suit. Le mazzeru expose une conception de l’humain qui dit que l’homme n’est pas seulement un être de chair, il possède aussi une âme et un esprit, c’est pourquoi on le désigne sous le terme de corpu à spiritu. Il peut quitter son corps et aller à la limite des mondes avec son esprit et son âme. Il vit dans le monde des vivants, mais a un double immatériel, son esprit qui lui permet de voir ce qui est invisible à nos yeux. Le mazzeru se charge d’appliquer la loi implacable du destin. Mais, il est aussi perçu comme un passeur d’âmes, car il veille à ne laisser aucune âme errer entre deux mondes. Il à en charge le passage des âmes, qu’il accompagne à franchir la frontière entre la vie et la mort. Un faiseur de morts, un passeur, le mazzeru est les deux à la fois.
– La bataille d’asphodèle est donc un mythe ou une réalité ?
– La croyance dit que dans la nuit du 31 juillet au 1er août, les mazzeri de différents villages se rencontrent et s’affrontent. Les cours d’eau, les cols et les sommets sont des lieux propices où les mazzeri évoluent. On raconte que les batailles entre mazzeri se situaient sur les cols séparant les territoires de chaque communauté villageoise. Les villages des mazzeri qui gagnaient le combat auraient moins de morts dans l’année à venir. Les mazzeri se battent en rêve, armés d’un bâton d’asphodèle.
-Qu’est-ce que c’est cette arme ?
– L’asphodèle est une arme symbolique qui dans les croyances méditerranéennes est associée au monde des morts, on l’appelle u taravellu, c’est la plante des morts, sa symbolique est puissante, elle set signe d’abondance et assure l’immortalité de l’âme. Les batailles entre mazzeri, e mandrache sont effrayantes. En Corse, ces croyances étaient encore très vivaces dans la première moitié du 20e siècle. Afin de marquer celles-ci, il était courant d’allumer un feu dans le village, car les batailles qui s’achevaient est par la fuite d’un groupe de mazzeri soit avec l’arrivée du jour, immanquablement à la fin de l’affrontement, les asphodèles utilisées étaient brûlés dans un grand feu. La mandraca la plus célèbre est celle de Guagnu et Pastricciola.
– Mythe ou réalité, les mazzeri existent-ils vraiment, les batailles d’asphodèle sont-elles pure invention collective ?
– A chacun de savoir s’il s’approprie ou pas cette croyance, et pour être sûr de la véracité de cette croyance, il suffit de se rendre au col de Missicella entre Guagnu et Pastriciola pour assister à la plus importante mandraca, mais il faut pour cela s’armer de courage, car dit-on les mazzeri rôdent toujours dans ces parages.